Charles Graffart et L'Exposition Internationale Des Arts Décoratifs Et Modernes De Paris 1925, hommage à un "Gamin".
Expo de 1925, un peu d'Histoire.
La vogue des grandes expositions internationales et universelles a pris naissance dans l'Europe en pleine expansion industrielle du milieu du 19eme siècle.
C'est à Londres en 1851 que la première grande exposition des produits de l'industrie de toutes les nations a lieu.
Crystal Palace, London.
Une douzaine de manifestations similaires seront organisées jusqu'à la première guerre mondiale. Philadelphie 1876, Paris 1889, Londres, Vienne, Chicago, Saint Louis se disputent l'honneur de les organiser.
Chaque pays participant doit y présenter ses nouvelles inventions, ses créations, chaque exposition devient ainsi une capsule témoin qui renferme ce qui était le plus admiré cette année là.
L'organisation de la première exposition internationale de l'après guerre revient à la France, elle souhaite marquer les cinquante ans de la Troisième République. Dès 1909, Roger Marx avait défini les grandes lignes de ce projet... présenter un 'Art Social' qui se mèle à l'existence de l'individu et de la collectivité. Être internationale, être moderne... toute réminiscence du passé est écluse sans pitié.
La participation de la Belgique n'était pas confirmée jusqu'en janvier 1924. L'exposition avait été prévue en 1915, mais a été retardée par la guerre.
En 1919, Val Saint Lambert avait préparé un plan pour un pavillon individuel, qui a été refusé par le comité organisateur de l'exposition en 1922 et de nouveau en 1924.
Le choix et le style des objets qui devaient être présentés n'étaient pas assez novateurs et ne correspondaient pas aux critères du thème de l'expo.
La société sera intégrée dans une réalisation d'ensemble.
Le Pavillon d'Honneur de la Belgique sera édifié près de l'entrée principale, dessiné par Victor Horta, Val Saint-Lambert intégré dans la section 'Mobilier' en classe 12, 'Arts & Industrie du Verre', ainsi que dans la Galerie des Ensembles Complèts au Quai d'Orsay.
Victor Horta
En un an, Val Saint Lambert créa une toute nouvelle série d'objets dans un style révolutionnaire pour l'époque, en collaboration avec Philippe Wolfers, qui dessina la salle à manger et le service 'Gioconda', presenté sur une nappe en dentelle, prêtée par la Reine de Belgique.
On sait que plus de 60 pièces de cristal étaient exposées, du cristal clair, doublé ou même triplé, à la taille profonde dans un esprit moderne, dessinés par Léon Ledru, chef création chez Val-Saint-Lambert, Joseph Simon, Jean Vanneste, peintre-décorateur chez VSL et Charles Graffart.
Malgré l' hésitation de la participation de Val de son directeur Marcel Fraipont, l'exposition est un succès total pour Val-Saint-Lambert.
Dans le catalogue officiel de la section belge on y retrouve son nom, comme membre, dans la commission d'organisation... l'honneur lui a fait il changer d'avis?
La société reçoit la plus haute distinction, le Grand Prix, un certificat d'honneur et une médaille d'or pour Simon et une médaille d'argent pour Graffart et Vanneste. D'autres distinctions ont aussi été décernées.
Intérieur du Pavillon Belge.
Les pièces d'influence Art Nouveau sont redessinées, afin de pouvoir apprécier la transparence du cristal avec un design simple, fait de lignes et de facettes droites, de lentilles, parfois d'un décor floral stylisé, de couleurs pastels différentes, sur des modèles plus classiques et géométriques.
Charles Graffart se fait remarquer par une série de pièces en cristal gravé à la roue de cuivre.
Seuls 60 pièces de la collection proposée sont commercialisées et reprises dans le catalogue Cristaux de Fantaisie 1926 et porteront le nom ADP (Arts Décoratifs de Paris), suivi d'un numéro du modèle et de dessin.
Le mouvement international qui sortira de cette exposition, dans nombre de disciplines, sera désormais connue sous l'appellation ... "Art Déco".
Charles Graffart (1893-1967) - Du gamin à la reconnaissance internationale.
Charles Graffart rentre le 10 avril 1906, à l'âge de 13 ans au Val Saint-Lambert, une entreprise de +/- 5000 ouvriers. Il débute comme 'Gamin'; aide aux souffleurs et mouleurs, pour suivre leurs missions et étapes du travail et présenter des outils.
Après un apprentissage de base, il s'occupe du ceuillage de la matière, le cristal, ébaucher la forme, réchauffer les pièces en cours du procédé et transporter des pièces réalisées au 'Mouffle' pour faire recuire ou refroidir.
Ce n'était pas un travail léger, un journée de travail pour un gamin était 'régulée' à 9 heure et 40 minutes par jour, les enfants de 12 ans pour le travail du jour, ceux de 13 ans pour la nuit.
Pendant le travail en apprentissage, il va suivre des cours à l'école des Cristallerie du Val Saint-Lambert, située sur place, ou il apprend à dessiner et créer. Ensuite il est envoyé à l'académie des Beaux-Arts à Liège, où il reçoit une formation complète: peintre, dessinateur, graveur à l'eau forte et sculpteur. Il termine l'Academie avec le Premier Prix. Son apprentissage dans sa totalité prend 18 ans et il excellera en gravure sur cristal.
Auto-portrait C. Graffart.
Toujours chez Val Saint-Lambert, il devient apprenti-graveur et il y restera actif dans cette forme d'art jusqu'en 1958.
Sa première oeuvre connue est de 1923, un croquis d'un profil égyptien, qui sera édité dans les années 50 par Louis Barthélémy.
Dans les années 1923/1924 il sort plusieurs pièces gravées, utilisées à la participation de l'Expo de Paris en 1925. Ces pièces sont non-numérotées et non-commercialisées, pour lesquelles il reçoit la médaille d'Argent.
Graffart s'impose avec ses œuvres à l'Expo de Paris et le 01-03-1926 il devient Maître-Graveur indépendant. Graffart a maintenant le privilège de travailler au gré de ses désirs, un des premiers dans l'ensemble des verreries d'arts Européennes, de participer avec son propre nom, à l'activité artistique de la firmes à laquelle il était attaché, le Val Saint-Lambert. Il est considéré comme rénovateur de la gravure sur cristal, Joseph Simon, nouveau Chef-Créations Artistiques, lui laisse s'épanouir son style et talent dans le métier.
En 1926, VSL commissionne 300 pièces uniques et numérotées de 1 à 300 à Charles Graffart, ces pièces serviront aux différentes expositions nationales et internationales, ne seront pas commercialisées et serviront d'exemples du savoir faire de la cristallerie.
Elles seront présentées en 1928 au cinquantenaire de Bruxelles, 1929 Barcelone, 1930 expos de Liège, Anvers et Oran ( centenaire de la Belgique), 1931 expo 'les colonies' à Vincennes, 1935 expo de Bruxelles.
Le métier de la gravure sur cristal, où Graffart excella, est rempli de péril: position malcommode de l'artiste, fragilité de la matière, Graffart ne peut se satisfaire que de traits parfaits et, qui plus est, de la profondeur adéquate pour que l'image ait le relief souhaité. Ses gravures, dans le meilleur style médailliste ne craignent pas la comparaison avec celle des plus fameux créateurs où cet art merveilleux a été, ou est encore, pratiqué.
Suite à la crise de 1929, l'euphorie des années précédentes s'arrête brusquement, les créations artistiques doivent faire place à des mesures drastiques pour se mettre en compétition avec d'autres Maisons qui connaissent le succès de pièces moulées, à la fabrication meilleure marché, comme celle de la production Lalique.
Une série moins couteuse et plus abordable en verre ou demi cristal moulé voit le jour, dessinée par Graffart en collaboration avec René Delvenne, la ligne Luxval.
A partir de 1942, Charles Graffart est trop pris par sa responsabilité comme chef de création, ses pièces seront alors gravées par ses collaborateurs. Mais le style Art Déco, surtout en cristal clair non doublé garde sa préférence tout au long de sa carrière.
Entre 1939 et 1958, plus de 1000 modèles seront enregistrés sous ses initiales.
En 1949, Graffart renoue avec sa passion pour la gravure sur cristal. Il crée de nombreux dessins exécutés par le graveur Louis Barthélémy, formé et dirigé par Graffart.
Entre 1949 et 1954, Barthélémy a exécuté plus de 1200 pièces uniques et 200 rééditions, toutes dessinées par Graffart.
En 1950, Graffart se rend aux Etats-Unis, avec quelques 100 de ses créations pour être exposées dans plusieurs villes de la Côte ouest, mais aussi et plus particulièrement The Métropolitain museum à New York. Malheureusement, Graffart n'a pas eu le succès désiré. Contrairement à ce que l'on peut croire, ses pièces sont trop 'parfaites', trop propres et pas assez spectaculaires pour les standards américains déjà influencés et saturés par la production native de Steuben et des imports de la Suède et de la Tchécoslovaquie.
Par contre, cette expérience lui a apporté une nouvelle vision sur la nature, visible sur ses croquis, gravures et ses nouvelles pièces soufflées.
Cette inspiration est également visible à l'exposition de Paris de Juin 1951 au Louvres, pavillon Marsan. Plus ou moins 60 pièces uniques presque toutes exclusivement en cristal clair, sont taillées, gravées ou simplement soufflées. Rarement une pièce est doublée. une attention spéciale est donnée à la nature ou au corps humain.
Charles Graffart - 1953.
La première passion, la gravure à la roue, de Graffart est aujourd'hui un peu oubliée et ignorée. Par contre, à son apogée, ses œuvres étaient considérées comme les meilleurs exemples de ce métier d'art.
Aujourd'hui, Graffart est considéré par le grand public comme un dessinateur de pièces commerciales Art Déco, un style utilisé par le Maître jusqu'à la fin des années 50 et en résulte une réputation de créateur un peu vieille école, peu d'attention est apportée à son travail d'avant guerre, ce qui est malheureux.
Charles Graffart a terminé sa carrière professionnelle avec l'expo de 1958 à Bruxelles. Basé sur les thèmes du feu et de la terre, les œuvres de Graffart y sont présentées et magnifiées, elles couronnent une longue carrière.
Charles Graffart est décédé en 1967, un Gamin de Seraing et du Val Saint Lambert, talentueux, complexe et donné, se fait renversé par un tramway en traversant la route, non loin du lieu où il passa sa vie professionnelle, et tant de souvenirs d'une vie incroyable, laissant derrière lui un témoignage pour chaque période du design moderne belge, chez Val Saint Lambert.
Grâce à cette recherche, qui au départ était de peut être découvrir de nouveau vases, non catalogués, dans la période de 1925, j'ai pu authentifier et dater ce vase devant moi, fragile dans ma main, en cristal clair, gravé d'un petit gamin dans une végétation abondante, je peux le placer entre 1924/25 exposé à Paris. Il y en a beaucoup d'autres, inconnus, rangés dans des greniers, ou laissés ici et là dans une vitrine, dans un musée... admirés ou laissés à la poussière, ou simplement brisé et jetés dans une benne.
Mais aussi, pendant la lecture des textes que vous m'avez fourni, et des informations en ma possession, j'ai (re)découvert l'histoire d'un autre 'gamin', d'un nouveau Graffart, qui me touche, que j'admire et respecte encore plus aujourd'hui.
Je vous remercie toutes et tous du fond du cœur pour votre participation et j'espère que vous avez trouvé cette histoire informative, intéressante et découvert un grand homme, Charles Graffart.
Bisous,
Anne.